Cour d’appel d’Aix-en-Provence, ch. 2-3, 22 février 2022, n°21/12145
Par un arrêt du 22 février 2022, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée sur la nécessité de produire aux débats, dans le cadre de violences conjugales, l’enregistrement téléphonique d’une conversation à l’insu de la personne enregistrée.
Préalablement, en 2021, une juridiction parisienne a confirmé l’irrecevabilité de la pièce litigieuse – l’enregistrement téléphonique – faute du respect des principes du contradictoire et de proportion (Paris, 23 mars 3032, n°21/01409). En effet, la demanderesse n’avait pas communiqué l’intégralité du constat d’huissier retranscrivant l’ensemble de l’enregistrement vocal (26 minutes) mais seulement deux extraits (15e et 23e minutes).
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 22 février 2022, a rendu une solution toute autre.
Elle retient à cette occasion que « dans le cadre des violences physiques ou psychologiques qui sont des faits graves, il est très difficile d’avoir des témoins, de sorte que l’enregistrement d’une conversation entre les époux à l’insu de l’un d’eux peut être indispensable pour démontrer les faits allégués ».
La Cour d’appel prend ici en considération la spécificité de la matière des violences conjugales pour apprécier la nécessité de produire aux débats des enregistrements téléphoniques à l’insu de la personne enregistrée.
Cet arrêt vise les articles 6 (droit au procès équitable) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que l’article 9 du Code de procédure civile relatif à l’exercice du droit de la preuve.
Elle reprend les critères habituels de nécessité et de proportion tels que dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Schenk c/ Suisse du 12 juillet 1988 et arrêt Dombo Beheer B.V c/ Pays-Bas du 27 octobre 1993).
A cet égard, elle énonce que « En application des articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d'une personne à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi. De même sur le fondement de l'article 9 du code de procédure civile, une pièce ne peut être écartée des débats pour violation de l'intimité de la vie privée, sans rechercher si sa production n’était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. »
Ainsi, si l’enregistrement vocal peut se révéler primordial à l’exercice du droit de la preuve en matière de violences conjugales devant le juge civil, il convient cependant de veiller scrupuleusement au respect du principe du contradictoire et, plus largement, des droits de la défense.
En revanche, faute d’évolution législative, la vraisemblance des violences ne suffit toujours pas à l’obtention d’une ordonnance de protection. Il faut encore démontrer l’existence d’un danger, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.
Pire, dans cette affaire le Juge aux affaires familiales a ajouté aux seuls critères cumulatifs de l’article 515-11 du Code civil celui de « l’absence d’urgence caractérisée ».
C’est dire si la procédure de délivrance de l’ordonnance de protection doit encore évoluer.